vendredi 10 mai 2024

La déportation de plus de 2000 enfants de la Réunion entre 1963 et 1981: un scandale d'Etat oublié ?

 

Il y a plus de 60 ans, ce sont 2000 enfants de la Réunion, abandonnés ou non,  qui ont étés transférés en Métropole entre  1963 et 1981 à l'instigation de Michel Debré, alors tout-puissant député de l'île jusqu'en 1988.

Michel Debré

 

Le premier objectif de Michel Debré est de "moderniser l'île". Or, à la Réunion, on compte en moyenne sept enfants par femme.

En 1965, le député s'inquiète :"Bientôt, 60% de cette île aura moins de vingt ans!". Il faut alors évacuer le trop plein vers la Métropole.

Avec un taux de chômage frôlant les 40%, une région en plein bouillonnement décolonial : l'explosion n'est pas loin! Il faut à tout prix détourner l'île de la tentation autonomiste!

Il fallait alors non seulement déporter (il faut appeler les choses par leur nom) les mineurs orphelins vers la Métropole, mais aussi les enfants retirés à leurs parents sous la promesse fallacieuse qu'un avenir brillant les y attendait: ce n'était qu'une escroquerie morale...

 

"Historien de l'enfance orpheline, j'ai rarement été confronté à tant de souffrances. Dans les archives on trouve des cas d'enfants de 12 ans qui font des tentatives de suicide, qui sont internés, tombent en dépression, deviennent délinquants.

Cette migration est une institution républicaine. Elle participe de l'utopie qui consiste à arracher des enfants à un milieu vicié pour les faire renaître ailleurs. Les autorités n'ont pas grand-chose à faire de ces gosses, l'important pour elles, c'est de nettoyer les bidonvilles, de faire oublier la crise sociale à la Réunion et d'injecter du sang neuf dans les départements en déclin. Debré agit avec bonne conscience: il élève le niveau de vie et dégage le maximum d'enfants pour soulager la démographie réunionnaise. C'est une politique qui a modernisé l'île et qui a fait souffrir les enfants, indissociablement". (Ivon Jablonka)

Les enfants embarquaient dans un avion pour Paris et étaient transférés à Guéret, dans la Creuse avant d'être dispatchés dans toute la France.

 Envoyés dans des départements ruraux de la Métropole, et en particulier dans la Creuse, ces enfants ont passé toute leur enfance loin des leurs, dans des conditions souvent difficiles.

Enfants réunionnais dans la Creuse
 

Certains enfants ont été adoptés, d'autres placés en foyers, en couvent ou à gages, pour aider aux travaux des champs, ou dans une entreprise familiale. 

Certains enfants ont subi, dans les familles d'accueil des conditions de travail qui s'apparentaient à de l'esclavage moderne, parfois même des violences physiques ou sexuelles. 

Une mémoire défaillante sur un crime impuni

Les choix opérés étaient déjà ceux de l'Assistance Publique au XIX° siècle : placer les "pupilles" dans l'agriculture et l'artisanat dans des zones dépeuplées telles que la Creuse.

Ce transfert forcé d'enfants réunionnais n'avait soulevé en Métropole que de l'indifférence, les DOM étant considérés à l'époque comme "pas vraiment français".

 Des témoignages ont été publiés:


 


 Au début 2013, un "Comité pour la Commémoration du cinquantenaire des Enfants Déportés de la Creuse" a été créé, mais en 2014, le Ministère concerné n'avait pas encore mis en place les réparations morales. Qu'en est-il aujourd'hui, dix ans après ?

Une Résolution Mémorielle a été votée le 18 février 2014 à l'Assemblée Nationale pour rendre justice aux "Enfants de la Creuse", à l'instigation d'Ericka Bareigts, députée PS de la Réunion.

 Depuis plusieurs années, les "Associations d'ex-enfants réunionnais de la Creuse " réclamaient la création d'un centre de mémoire dédié à cette histoire, à Guéret ; un autre centre devrait être créé à la Réunion et ce sera bientôt chose faite, en principe : ici.

 

Cinquante ans après, une'"enfant de la Creuse" retrouve sa sœur.

Voir ici une vidéo sur l'histoire de ces déportations.

Voir une vidéo ici : "Les enfants de la Réunion, un scandale d’État oublié"

Ici , vidéo : "Les enfants de la Creuse".

Voir ici une vidéo "Les Réunionnais de la Creuse".

Ici , vidéo : "Arrachée à ma famille à la Réunion".

Que sait-on de la déportation de milliers d'enfants ukrainiens par la Russie ?

 

Une enquête de l'Université américaine Yale démontre l'existence d'un système planifié par l’État Russe afin de séparer les mineurs ukrainiens de leurs parents et de les déporter.

 

Il y aurait en Russie un réseau d'au moins 43 camps fermés où vivraient depuis des mois plus de 6000 mineurs ukrainiens séparés de force de leurs parents et soumis à des programmes d'endoctrinement pro-russe.

Il est intitulé "Programme systématique de la Russie pour la rééducation et l'adoption des enfants ukrainiens".

Il établit "l'échelle, la chaîne de commandement, et une logistique complexe soigneusement orchestrée", selon le Directeur exécutif du "Humanitarian Research Lab" de Yale.

Voir ici un article détaillé de France-Info sur ce sujet. 

 

Maria Lvova-Belova avec des orphelins ukrainiens
 

Maria Lvova-Belova est la Commissaire Russe aux "Droits des Enfants".

Le visage angélique d'un sombre trafic
 

 Ce système auquel sont soumis les mineurs ukrainiens sans le consentement de leurs parents, s'apparente à un crime de guerre, dénoncent les chercheurs de Yale.

D'ailleurs, l'enlèvement de masse d'enfants ukrainiens par la Russie a valu à Vladimir Poutine et à Maria Lvova-Belova une inculpation de la Cour Pénale Internationale, sous le chef d'accusation de "crimes de guerre" et de "déportations illégales".

La Commissaire et le Président

Voir ici un début d'article de l'Express.

Voir ici  et (en anglais).

Voir ici un article du Monde à propos d'un rapport d'Amnesty International.

Les enfants déportés de la région de Donetsk et de Marioupol seraient disséminés sur tout le territoire de la Fédération de Russie, jusqu'en Extrême-Orient.

 

Les plus âgés seraient envoyés dans des camps pour y suivre "une éducation patriotique russe et un entrainement militaire, de maniement d'armes et de véhicules militaires".

La CPI considère "comme acquis" que ces transferts forcés est "l'un des vecteurs de la vaste politique de destruction de l'identité ukrainienne" menée par la Russie.

Human Rights Watch alerte du danger dans lequel se trouvent les quelques 32 000 enfants pris en charge dans les institutions de type orphelinats, dans les territoires occupés. 

L'Organisation "Save Ukraine" travaille sans relâche au rapatriement des enfants déportés.

Voir ici un article éclairant de "The Ukrainian Week".


 Il est  par ailleurs instructif de se référer à l'histoire sinistre de la déportation systématique de populations par l'URSS dans les années 1930 et durant la Seconde Guerre Mondiale : voir ici.



 

jeudi 9 mai 2024

En Australie des dizaines de milliers d'enfants aborigènes arrachés à leurs famille

 

L'histoire des enfants aborigènes arrachés à leurs familles en Australie est un chapitre sombre de l'histoire coloniale du pays.


 Cette politique, connue sous le nom  de la "Politique des enfants volés" ou du "Génocide culturel" a été largement mise en œuvre du début du XX° siècle jusqu'aux années 1970.

 

A cette époque, les gouvernements australiens et les autorités croyaient que l'assimilation des enfants aborigènes à la culture blanche était dans leur meilleur intérêt, car cela les éloignerait de ce qu'ils considéraient comme des modes de vie "primitifs" et "barbares". 

Les "générations volées"
 

Les motivations derrière ces enlèvements étaient souvent teintées de racisme, de supériorité culturelle et d'eugénisme.

Les enfants aborigènes étaient enlevés de force à leurs familles par des institutions gouvernementales, des agences d'aide sociale ou des églises.

 

Ils étaient placés dans des institutions gouvernementales, des foyers d'accueil ou des familles adoptives blanches où ils étaient souvent soumis à des abus physiques, émotionnels et sexuels, ainsi qu'à la perte de leur identité culturelle.

 

Ces politiques ont eu un impact dévastateur sur les communautés aborigènes, entraînant une perte de culture, de langage et de lien familial.

La séparation forcée des enfants de leurs familles a créé des traumatismes intergénérationnels qui se font encore sentir aujourd'hui.

 

L'idéologie en cours à l'époque était que les aborigènes "de sang pur" disparaitraient et que les aborigènes métis seraient de force intégrés à la société blanche. 

Il était évident que les aborigènes étaient considérés comme une "race inférieure". 


 


Reconnaissance et Réconcilation:

Les enfants aborigènes volés ont attaqué le Gouvernement en justice pour le préjudice subi et ont exigé réparation : ici

Rassemblement à Sydney en avril 2021 à ce sujet

Dans les années 1990 et 2000, le Gouvernement Australien a commencé à reconnaitre officiellement cette politique et à s'engager dans des processus de réconciliation.

 En 2008, le Premier Ministre Kevin Rudd a présenté des excuses  formelles au nom du Gouvernement australien aux peuples aborigènes et insulaires du Détroit de Torres pour les torts causés par cette politique: ici.

Les enfants enlevés sont souvent appelés "Stolen Generations".

La "Mémoire Vive " des aborigènes d'Australie
 

Le Mouvement de la "Stolen Generations" œuvre pour la justice, la réparation et la sensibilisation à cette sombre période de l'histoire de l'Australie. Ici.

Voir aussi un article (en anglais) intéressant ici.

Voir une vidéo édifiante, ici.

Il s'agit d'une longue, trop longue série d'histoires tragiques d'enfants systématiquement volés, au Canada (ici) au détriment des Amérindiens,  en Suisse (ici), au détriment des enfants Yéniches, en France (Les enfants de la Creuse), au détriment des enfants réunionnais, en Ukraine par la Russie, au détriment des enfants ukrainiens, ...


dimanche 5 mai 2024

Cinéma : "Lubo" et le sort dramatique de la communauté Yéniche en Suisse

 

Voilà un film magnifique de près de trois heures du réalisateur italien Giorgio Diritti, trop méconnu, qui évoque le sort dramatique de la communauté Yéniche en Suisse au cours du XX° siècle (sur la plateforme FILMO). Ici.


 

Giorgio Diritti

Voir ici une interview de Giorgio Diritti à propos de son film.

 Cette communauté nomade ( à ne pas confondre avec les Gitans, les Roms,...) a subi continuellement des persécutions de la part de la Confédération Helvétique, en particulier le vol de leurs enfants afin de les "rééduquer" en les plaçant dans des familles "respectables".

 

Nous pouvons, dans ce film,  suivre le personnage principal, interprété de façon exceptionnelle par Franz  Rogowski, au cours de deux décennies , lors d'évènements dramatiques où alternent la violence, l'amour et la déchéance.


 La reconstitution historique est totalement maîtrisée et nous permet de percevoir quelles ont pu être - et quelles sont encore actuellement - les conditions de vie des Yéniches en Suisse.





 Les Yéniches sont une ethnie nomade ou semi-nomade d'Europe aux origines variables, de religion catholique, spécialisés en particulier dans les activités de vannerie. Ils sont aussi rémouleurs, ferrailleurs.

Ils ont leur propre langue, la langue yéniche, qui situe leur histoire dans l'Europe de langue germanique. C'est une langue mixte faite d'Allemand, de Suisse-Allemand et de Romani.

On les trouve en Allemagne, Suisse, Autriche, en Alsace, au Luxembourg, en Belgique.


En Suisse, il y a 50 000 Yéniches dont 3500 nomades.

Seule la Suisse les reconnait comme une "minorité nationale" depuis 2016 et s'engage à les nommer "Yéniches" et non plus "Gens du voyage".

De plus, la culture nomade des Yéniches est inscrite dans la liste des "traditions vivantes de Suisse".

Les Yéniches sont donc reconnus officiellement, mais ils doivent continuer à se battre pour une existence sereine, être politiquement visibles ...et trouver des emplacements pour leurs caravanes : ce sont encore les "Suisses invisibles".

Mais entre 1926 et 1973, on estime que 2000 enfant Yéniches ont étés retirés de force à leurs parents, avec l'appui des autorités, dont environ 600 par l’œuvre d’entraide "Les Enfants de la Grand-Route", dirigée par "Pro Juventute", une importante fondation suisse pour la jeunesse : ici

Voir un témoignage.


 

Beaucoup de ces enfants ont subi des violences ou ont étés exploités de façon déplorable comme de la main d’œuvre gratuite lors de ces placements dans des centres éducatifs, des foyers ou des familles d'accueil.

En 1972, la révélation de cette situation par le Magazine Suisse Beobachter a créé un énorme scandale, mettant fin à l'opération "Les Enfants de la Grand-Route". 

Voir ici un reportage récent (novembre 2023), publié par la RTS.

Voir ici la mise au point nécessaire de la part de "Pro Juventute", qui assume sa responsabilité passée et soutient sans réserves le travail de réexamen mené par le Parlement Fédéral.

Actuellement, la Fondation Naschet Jenische continue un travail de recherche et de réhabilitation des personnes concernées.

Voir ici un reportage actuel sur la "Question Yéniche" en Suisse réalisé par la RTS.

J'ai eu l'occasion de croiser sur l'autoroute suisse, près de Lucerne une caravane d'une quarantaine de voitures et de mobile-homes Yéniches. C'était impressionnant et je me suis demandé où ils allaient pouvoir stationner. La réponse est ici !

 

En tout cas un grand merci à Giorgio Diritti et à ses acteurs dont en particulier Franz Rogowski pour ce film extraordinaire et pour avoir éveillé mon intérêt, à nouveau, sur la question des enfants volés, arrachés de force à leurs parents.

Cette situation n'est malheureusement pas unique : les scandales révélés au Canada (ici), en France (Les "Enfants de la Creuse") et en ce moment les enfants Ukrainiens arrachés à leurs parents par le Régime Russe pour des raisons identiques.


vendredi 3 mai 2024

Fred Uhlman, humaniste, écrivain, peintre et avocat germano-gallois d'origine juive

 

Fred Uhlman est né le 19 janvier 1901 à Stuttgart et est mort à Londres le 11 avril 1985.

C'est un écrivain et un peintre germano-gallois d'origine juive.

Fred Uhlman
 

Inscrit en 1920 à la Faculté dentaire de Freiburg-im-Breisgau, il change d'orientation au bout d'un an  et se consacre au droit à Stuttgart afin de devenir avocat, "en vue de remédier aux dérives juridiques que connait son pays après la Première Guerre Mondiale".

Mais, étant d'origine juive, il doit quitter  l'Allemagne en 1933 pour fuir le nazisme.

 "J'ai grandi dans un pays que j'aimais passionnément,  C'était très beau, le Rhin, la Forêt Noire, le Neckar, les vieux monastères. Pour moi, perdre cette Allemagne que j'adorais a été un choc terrible, inimaginable. Un choc terrible, bien avant Auschwitz".

 Il fréquentera à Paris les milieux artistiques. Paris sera le catalyseur de sa vocation de peintre.





 

Quand il retourna à Stuttgart quinze ans plus tard, la moitié de sa ville était en ruine et toute sa famille avait été exterminée.

En 1936, il fait un séjour en Espagne, où il rencontre sa future femme, mais la Guerre d'Espagne le contraint à nouveau à quitter le pays pour le Royaume-Uni.






 

En septembre 1938, il y crée le "Comité des artistes réfugiés", pour les réfugiés et combattants d'Espagne, mais en juin 1940, il est emprisonné dans l'Ile de Man par les britanniques, car d'origine allemande.

Là, les internés pouvaient peindre, écouter des conférences, jouer aux cartes,...

Fred Uhlman au "Hutchinson Internment Camp" en 1940

Fred Uhlman est libéré, naturalisé britannique et devient peintre à temps plein.

Lors de son exil au Royaume-Uni, il tombe amoureux des étendues montagneuses du Pays de Galles, où son âme troublée a fini par trouver écho  et apaisement.




 

Le Pays de Galles et ses montagnes d'ardoise est devenu l'autre patrie de Fred Uhlman, dont il a su rendre dans ses tableaux l'atmosphère si particulière.

 

Il y a Fred Uhlman peintre, mais aussi Fred  Uhlman écrivain.

En 1960, il raconte dans "Il fait beau à Paris aujourd'hui", les aventures qui l'ont amené à devoir fuir son pays et se réfugier au Royaume-Uni : il nous fait part de ses secrets et de ses angoisses.

Ce livre est publié à Paris en 1985

 En 1971, il publie "L'Ami retrouvé", un véritable petit chef-d'oeuvre, une autobiographie romancée, traduite en de nombreuses langues.

 

 En effet, de nombreux points communs existent entre Uhlman et un personnage du roman, Hans Schwarz : Uhlman y relate les tourments d'un adolescent juif lors de la montée du nazisme et son amitié avec un jeune aristocrate de son âge, héritier d'une des plus grandes familles du Wurtemberg, le Comte Conrad von Hohenfels.

Au Gymnasium, Fred Uhlman était en effet le condisciple de Stauffenberg, qui sera exécuté après l'attentat de juillet 1944 contre Hitler.

Buste de Stauffenberg, Musée d'Histoire à Berlin

Il publie ensuite "La Lettre de Conrad", dans laquelle Hans reçoit une lettre de son ami expliquant pourquoi il a participé à un complot contre Hitler.


Dans "Sous la lune et les étoiles", paru en 1984, un an avant sa mort, il traite de façon à la fois poétique et rude de la question de la solitude.


Fred Uhlman est un auteur et un artiste assez peu connu, qui a côtoyé la barbarie à l'état pur, et qui, au milieu de ses épreuves, a aimé la vie et nous aura partagé un remarquable humanisme.

Il nous laisse le bouleversant écho d'une génération martyre.

Voir ici un article du Monde de 1985.

Voir ici une video d'ARTE (disponible en replay jusqu'au 11/04/2025) consacrée à la relation passionnelle de Fred Uhlman avec le Pays de Galles, sa seconde patrie.