jeudi 27 décembre 2012

Camille Corot : Nature et Rêve à la Kunsthalle de Karlsruhe


La Kunsthalle de Karlsruhe propose (jusqu'au 20 janvier 2013) la première rétrospective en Allemagne entièrement consacrée à l'oeuvre de Camille (ou Jean-Baptiste) Corot, soit 180 tableaux et dessins.
Voir ici .

Cette très belle exposition nous offre un panorama complet des oeuvres du peintre : paysages où la lumière génère un profond lyrisme, portraits subtils, esquisses lumineuses réalisées en extérieur, oeuvres décoratives de grand format avec personnages imaginaires...

Autoportrait, la palette à la main
vers 1830

Nous avons pu visiter cette exposition intitulée "Natur und Traum", "Nature et Rêve" le 13 décembre 2012 et avons apprécié d'y admirer non seulement le travail du peintre, mais aussi quelques oeuvres de ses prédécesseurs (Pierre-Henri de Valenciennes, Achille-Etna Michallon, Jean-Victor Bertin), ainsi que d'artistes qu'il influença (Camille Pissaro, Paul Cézanne, Odilon Redon).

Rome ; île et pont San Bartolomeo
vers 1826 - 1828

Cette rétrospective met magnifiquement en évidence ce qu'étaient les lignes directrices de Camille Corot : délicatesse, sentiments, précision.
Elle souligne la personnalité exceptionnelle du peintre, qui dépasse les classifications habituelles entre tradition et avant garde.

Souvenir de Mortefontaine
1864
Corot, au cours de ses nombreux déplacements, en particulier en Italie,  où il résida à trois reprises, mais aussi en Suisse, en Angleterre, ne cessa de peindre des paysages idylliques comportant des petits personnages, selon les règles du paysage classique.
Il est l'un des fondateurs de l'Ecole de Barbizon.

Le Lac ; impression de nuit

Mais qui était en fait Camille Corot (1796-1875), celui que Claude Monet qualifiait de "seul maître"?

Corot fut non seulement un classique - et quel classique! - mais également un précurseur, qui ouvrit grandes les portes de la modernité.
Ses recherches sur la lumière anticipent en effet l'impressionnisme et ses oeuvres d'imagination annoncent le symbolisme.

Le Repos

A partir de 1850, il est de plus en plus attiré par une peinture dans laquelle il laisse libre court à son imagination, délaissant l'exactitude du paysage peint "sur le motif" et imaginant des paysages rêvés  baignés de halos argentés ou dorés.

Le Petit Chaville, près de Ville d'Avray

En 1883, Degas écrivait : "Il est toujours le plus grand, il a tout anticipé".

Zola le définit, lui, comme "le doyen des naturalistes, malgré ses prédilections pour les effets de brouillard...".
Et il évoque aussi " le sentiment vrai qu'il a de la nature, la compréhension large des ensembles, surtout la justesse et l'harmonie des valeurs".

Baudelaire, lui, qualifia sa peinture de "miracle du coeur et de l'esprit".

Femme à la perle

Même Picasso et Juan Gris imaginèrent vers 1915, une version cubiste de certaines de ses oeuvres...

L'exposition rend également compte de l'intérêt de Camille Corot pour le théâtre, les concerts, la littérature - il entretenait des relations personnelles avec Théophile Gautier, Gérard de Nerval et surtout Charles Baudelaire.

Camille Corot par Nadar
Camille Corot a bâti une oeuvre assez riche et variée pour toucher avec bonheur à tous les courants de son époque, et c'est ce que nous a montré cette magnifique rétrospective!

vendredi 21 décembre 2012

Opéra depuis le Met : Aïda de Verdi, une oeuvre intimiste.


Le 15 décembre était retransmis, au Kinépolis de Mulhouse, depuis le Met, à New York, Aïda de Verdi.

A priori je n'apprécie guère les péplums, et en particulier pas à l'opéra.
A posteriori, non plus, car je n'ai pas été enthousiasmé par cet Aïda, en tous cas par ses deux premiers actes, malgré une mise en scène grandiose et la magnifique direction d'orchestre de Fabio Luisi!

Mais c'est le style même de cette oeuvre de commande qui suscite mon peu d'enthousiasme : un triangle amoureux qui évolue au milieux des décors fastueux de l'Egypte ancienne.
C'est seulement, vers la fin de l'opéra, lorsque ce triangle amoureux évolue, vers un destin tragique, dans un décor plus intimiste que mon intérêt s'est réveillé!

Aïda au Met

Certes, le Met a monté là une spectaculaire superproduction digne d'Hollywood  et sa machinerie technique a montré sa totale efficacité.
Tout était parfaitement bien réglé, tout d'abord les fameuses trompettes, ensuite les ballets, ensuite le passage des chevaux sur scène, pour finir le défilé de la centaine de guerriers égyptiens sur la grande place de Thèbes. Manquaient peut-être les éléphants...

Mais en fait, Aïda, au delà de son côté "grand spectacle", est une oeuvre intimiste, fort heureusement, où se joue la tragédie de l'amour et du devoir, sur fond de musique nuancée et raffinée : l'enchantement n'arrive, bien tardivement, qu'au III° Acte, mais il est bien là, et culmine dans le duo poignant entre Aïda et Radamès, condamnés à être enterrés vivants.

Ludmyla Monastyrska dans le rôle d' Aïda et Olga Borodina dans celui d' Amnéris sont des découvertes pour moi.

Ludmyla Monastyrska, soprano, née à Kiev, en Ukraine nous a charmé par sa voix ronde, colorée et douce, présentant par moment des intonations plus sombres, qui ont ajouté à la force dramatique de son interprétation d'Aïda.

Ludmyla Monastyrska
Olga Borodina, mezzo-soprano, née à St Petersbourg,  nous a offert une interprétation forte, volontaire, laissant transparaître toute la puissance et la richesse de ses racines russes et de son expérience dans l'interprétation des oeuvres lyriques russes.

Olga Borodina
Quant à Roberto Alagna : une fois de plus, je n'ai pas été transporté par son interprétation peu expressive, sauf dans la dernière scène, poignante...mais peut-être suis-je trop difficile...

Roberto Alagna

En résumé, une soirée mitigée!

Ecoutez ici Ludmyla Monastyrska!

Voir ici la note de JCMemo sur Aïda.

jeudi 20 décembre 2012

Opéra depuis le Met : Un Bal Masqué poignant!


"Un Bal Masqué"de Verdi, retransmis depuis le Met le 8 décembre, a été pour moi un enchantement lyrique de bout en bout!
Il s'agissait là d'une nouvelle et puissante production de David Alden.
Fabio Luisi, à la tête de l'orchestre du Met,  a su nous transmettre toute l'intensité dramatique de la partition trépidante de Verdi.

Un Bal Masqué
Marcelo Alvarez et Dmitri Hvorostovsky

J'ai pris un très grand plaisir a écouter les trois principaux protagonistes de ce drame de jalousie et de vengeance : Sondra Radvanovsky (dans le rôle d' Amelia), Marcelo Alvarez (dans le rôle de Gustave III) et Dmitri Hvorostovsky (dans le rôle d' Anckarström).

Une fois de plus, les personnages de Verdi sont aux prises avec la vie, l'amour, la trahison et la mort.
Les interprètes ont su, chacun avec sa personnalité, apporter à ce drame une émotion, une tendresse et une intensité extraordinaires.

Sondra Radvanovsky, soprano (voir son site ici ), m'a ébloui par la sincérité de son interprétation, la puissance et l'intensité poignante de sa voix. C'est une des grandes interprètes de Verdi actuelles.

Sondra Radvanovsky
Marcelo Alvarez, ténor (voir son site  ici), nous a donné une interprétation subtile, chargée d'intensité dramatique et d'émotion.

Marcelo Alvarez

Dmitri Hvorostovsky, baryton (voir son site ici), avec sa voix sombre et profonde, a traduit de façon poignante l'intensité du drame du mari trompé, ou se supposant tel, devenu assassin de son meilleur ami.

Dmitri Hvorostovsky

En résumé : une magnifique soirée lyrique!

Ecoutez ici Dmitri Hvorostovsky dans "Eri tu" (Acte III).

Voir ici l'appréciation - toute autre - de JCMemo!

mercredi 19 décembre 2012

Photographie : Masao Yamamoto, entre grâce et poésie


Masao Yamamoto, né en 1957 au Japon (à Gamamori), a commencé à étudier la peinture, pour s'orienter vers la photographie, en se spécialisant dans les petits formats.

J'ai eu l'occasion de découvrir et d'admirer un certain nombre de ses petits formats à Paris, lors du Mois de la Photo, à la Galerie Camera Obscura.


Masao Yamamoto en 2009

Voir sa biographie ici .



Ses clichés qui, souvent,  tiennent dans la paume de la main, qui évoquent et mettent au jour des souvenirs, qui "fabriquent" des fragments de mémoire, me touchent, de par leur grâce et leur poésie si particulières.
Son travail ne ressemble à aucun autre!

Pendant 20 ans, Masao Yamamoto a conçu son oeuvre comme un haïku.
Tout d'abord, il a appelé son travail "a box of ku", le mot "ku" voulant dire "vide".


Puis il l'a appelé "nakazora", un terme bouddhiste qui signifie "entre le ciel et la terre", c'est à dire entre la vie et la mort, entre le rêve et la réalité,  dans l'indécision du temps et de l'espace.




Pour ces deux séries, Yamamoto patine ses clichés (par des teintures, du thé), les peint, et également les "use", les vieillit.

Ensuite, il a décidé de changer de direction, et sa nouvelle série porte le nom de "kawa", c'est à dire "la rivière", métaphore de la vie qui passe.
"Kawa" explore les mouvements de la nature, tantôt rapides, tantôt imperceptibles : le courant figé de la neige, le flux des herbes et des nuages, l'immobilité d'un oiseau...




Les images de cette série se référent à la tradition poétique japonaise, et nous portent vers une méditation sur le caractère passager de notre présence dans ce monde.
Ici, les tirages sont de dimension légèrement plus grande et ne portent pas de traces d'usure volontaire.





Masao Yamamoto ne donne ni titre ni date à ses photographies, nous laissant ainsi dans une sorte d'indécision : il nous offre des fragments de vie, des instants indéchiffrables.



Voir ici , pour d'autres clichés.

mercredi 12 décembre 2012

Ravi Shankar !


C'est avec une grande émotion que j'ai appris hier le décès du  sitariste indien  Ravi Shankar en Californie, à l'âge de 92 ans.
Voir sa biographie ici  et son site officiel ici .

Ravi Shankar
J'ai découvert avec bonheur le jeu exceptionnel au sitar de Ravi Shankar, accompagné alors aux tablas par Alla Rahka, dans les années 1965.
J'ai été alors totalement envoûté par son interprétation des ragas, ce qui a décidé de mes deux premiers voyages en Inde, au Maharashtra.
Par la suite, j'ai découvert la musique de l'Inde du Sud (Musique carnatique), lors d'un voyage dans le Tamil Nadu, à Chennai (Madras), mais Ravi Shankar m'avait en quelque sorte mis le pied à l'étrier...

"Ravi Shankar est le parrain de toutes les musiques du monde" . George Harrison (le guitariste des Beattles, qui devint son élève dans les années 1960)

On peut considérer que, par delà ses talents d’interprète et de compositeur, par delà sa virtuosité instrumentale, Ravi Shankar restera le symbole contemporain parfait de l'ouverture à l'autre, de la compréhension entre les peuples, et de l'humanisme.

Il rejoindra en cela dans la mémoire - et l'émotion - collective la figure de son ami Yehudi Menuhin.

Ravi Shankar et Yehudi Menuhin
"Pour moi, son génie et son humanité sont seulement comparables à ceux de Mozart". Yehudi Menuhin

"Dans la tradition indienne, la musique est d'essence religieuse, quelle que soit la religion.
Or, elle est devenue un spectacle.
Pourtant, je reste confiant, car ce qui est vrai ne peut mourir". Ravi Shankar

Ecoutez Ravi Shankar en live au "Monterey International Pop Festival", dans le Raga Bhimpalasi : ici !

samedi 1 décembre 2012

Photographie : Sarah Moon à la "Camera Obscura", un style unique !


J'ai découvert la photographe française Sarah Moon (née en 1941), il y a très exactement un mois, lors d'une exposition à la petite et remarquable galerie de photographie contemporaine Camera Obscura, 268, Boulevard Raspail, à Paris.
Il s'agissait d'une exposition qui rassemblait des oeuvres de Sarah Moon, Masao Yamamoto et Bernard Plossu, sur le thème du petit format.
Voir ici.

Sarah Moon, cliché par Anne-Laure Jacquart

Sarah Moon a tout d'abord travaillé comme mannequin de 1960 à 1966, puis, à partir de 1970, s'est orientée vers la photographie.


Photographiant tout d'abord ses amies modèles, elle devient peu à peu photographe de mode.

Elle a acquis une notoriété certaine lors de la publication de ses photographies réalisées pour les campagnes de publicité de Cacharel.
Pendant une quinzaine d'années, elle a également travaillé pour Vogue, Chanel, Dior,...


L'intérêt de ses photographies - et ce qui la distingue des photographes de mode masculins -, c'est qu'elle a su montrer l'univers de la mode sous un angle, et avec un style tout à fait particuliers et personnels,
Son style riche et raffiné est en effet teinté d'une certaine complicité, due au fait qu'elle même a partagé l'univers des modèles.


Elle s'oriente par la suite vers un style de photographie plus personnelle, plus intérieure, plus "artistique", quitte l'atmosphère des studios, pour faire de Paris son terrain de jeu, et d'observation.
Son travail fait alors penser aux films et photographies de l'expressionnisme allemand des années 30.


Elle travaille au Polaroïd (En Noir et Blanc, avec négatif) et à la chambre et n'hésite pas à faire subir à ses clichés toutes sortes de traitements, de griffures, de salissures. 
Elle utilise également le flou, le vignettage, le mouvement...

En fin de compte, ses photographies nous apparaissent comme provenant d'une mémoire partiellement délavée, à demi effacée, ce qui leur confère ce style si caractéristique. 


Sarah Moon photographie des enfants, surtout des fillettes, des environnements industriels délabrés, des hommes déguisés en animaux, des routes fendant un paysage,...et toujours dans une sorte de halo, de fiction, de détachement de la réalité.
Les visages sont souvent le regard baissé, les espaces, des lieux confinés dont on ne sort pas, les rêves ne sont pas loin des cauchemars.

C'est comme si elle déréalisait tout ce qu'elle photographie...tout en donnant une touche de poésie incroyable à tous ses clichés.

L'impression générale de ses clichés - son style - est étrange et fascinante : ils sont parfaitement reconnaissables entre tous !


S'y ajoute une dégradation du support : des taches, des accidents qui font apparaître encore d'avantage la matérialité de ses photographies, et accentue si besoin était l'étrangeté et l'irréalité de son oeuvre.

Ses thèmes de prédilection : les souvenirs, la mort, l'enfance, la féminité, la solitude...


Sarah Moon : un style étonnant, qui donne à toutes choses une touche fascinante de poésie onirique!

La meilleure façon d'approcher la personnalité de Sarah Moon est encore de contempler et de se pénétrer de ses photographies.

Voir le site photographique de Anne-Laure Jacquart ici .
Voir ici pour admirer d'autres oeuvres de Sarah Moon.

mercredi 21 novembre 2012

Photographie : Moï Wer, "Ci-Contre", un chef d'oeuvre !


L'histoire du photographe d'origine lituanienne Moses Vorobeichic, dit Moï Wer, qui se fit appeler ensuite, après son installation en Israël, Moshé Raviv, est complexe, et encore peu connue.



La  Fondation Henri Cartier-Bresson  (HCB) présente fort heureusement, et pour la première fois à Paris (Du 12 septembre au 23 décembre 2012),  un ensemble important de tirages d'époque passionnants. 
Et c'est un évènement!

Ci-Contre

Moï Wer est un artiste brillant, à la croisée de la Nouvelle Vision ( Voir ici ) et des recherches cinématographiques les plus avancées de l'époque.

Ci-Contre

Né en 1904 près de Vilnius, il étudie tout d'abord la peinture avant de se rendre à Dessau afin d'y suivre les enseignements du Bauhaus ( Voir ici en 1927/1928.
Il suit les cours de Klee et de Kandinsky et découvre les travaux de Moholy-Nagy (Voir ici ).
Il s'intéresse aux films d' Eisenstein.

Ci-Contre

Devenu photographe indépendant, il retourne à Vilnius en 1929 pour y photographier le Ghetto.

En 1931, Moï Wer se consacre à la réalisation de l'ouvrage "Ci-Contre", où il présente ses montages et superpositions, très cinématographiques, d'une extrême modernité, en 110 tirages en vis-à-vis absolument étonnants, qui constituent un véritable chef d'oeuvre.

Ci-Contre
Sont également offertes à l'admiration des amateurs 51 épreuves retrouvées récemment, datant d'un voyage effectué en 1937, et qui constituent un témoignage unique et précieux sur la vie des communautés juives dans des fermes collectives de Pologne.

Moï Wer, devenu Moshé Raviv - part pour la Palestine en 1934.
Il arrêtera quelques années plus tard définitivement la photographie.
Il résidera en Israël jusqu'à sa mort en 1995.

Cette exposition m'a enthousiasmé, comme c'est très souvent le cas pour moi, à la Fondation HCB!

Voir ici une video commentant l'oeuvre de Moï Wer.

mardi 20 novembre 2012

Photographie : Paul Graham, entre désœuvrement et frénésie


En ce moment se tient - et encore jusqu'au 9 décembre - dans la salle du BAL, à Paris (6, Impasse de la Défense XVIII° arrt, près de la place de Clichy) une exposition photographique intéressante à divers titres.

Je suis sorti étrangement "dérangé" de cette exposition, comme très souvent lorsque je sors des salles du BAL.

Il s'agit, à l'occasion de la clôture d' "Une saison britannique", de présenter le travail de Paul Graham (né en 1956), figure majeure de la scène photographique contemporaine, quelques mois après deux rétrospectives importantes à Londres et à Essen.

Paul Graham lors de l'inauguration de l'exposition de ses oeuvres
au Deichtorhallen Museum de Hamburg en 2010

Nous sommes sans aucun doute dans une période où les impératifs technico-économiques dominent et où les idéaux et les destins personnels sont ébranlés par le doute et les risques de repli sur soi.

Dans ce contexte, Paul Graham nous offre, lors de cette belle - et dure - exposition, deux visions de deux communautés.

Une première vision d'une communauté éclatée, désoeuvrée, déstabilisée au plus profond ; celle de "Beyond Caring" (1984-1985). 
Il s'agit là d'un reportage, en quelque sorte, ou plutôt d'une enquête sociale, d'un "memento" de ce qui est vu, de ce qui se passe, tout comme l'avait fait Chris Killip (Voir ma note à ce sujet ici), ou Walker Evans (Voir ma note ici).

Beyond Caring

Un critique a dit, d'ailleurs, à propos de Walker Evans :
"La photographie, pour lui, n'était ni un document, ni de l'art, mais une sorte de roman, un moyen de créer de la littérature en image, les faits étant la matière première d'une fiction qui révélait les vérités."

Beyond Caring

Ceci peut s'appliquer tout à fait au travail effectué par Paul Graham autour du chômage sous l'ère tchatchérienne. 
La politique monétariste de l'époque crée un afflux massif de laissés pour compte - Paul Graham est l'un d'eux - qui dépendent des allocations pour vivre.

Beyond Caring

Pendant 2 ans, il arpente les antennes locales d'aide sociale (Social Security and Unemployment offices) où, n'étant pas autorisé à photographier, il déclenche sans viser, l'appareil posé par terre où à côté de lui...
Ses photos traduisent la dislocation du temps et de l'espace vécue par les usagers, ainsi que la solitude et l'enfermement...

L'autre vision, celle affairée,  aléatoire et presque poétique de "The Present" (2011).
Ce travail est le dernier volet d'une trilogie américaine : "American night" (1998-2002) et "A shimmer of possibility" (2004-2006).

The Present

Il s'agit là d'un hommage à la photographie de rue.
"The Present" témoigne de la frénésie de la rue new-yorkaise, son flux hétéroclite et cacophonique de personnages, d'enseignes, de signes, de gestes.

The Present

Dans ce défilement ininterrompu, Paul Graham prélève deux temps, deux images que sépare un très court instant : une scène, et son double s'offrent ainsi au spectateur en une sorte de dyptique étonnant.
Qu'est-ce qui se joue "entre" ces deux images, quel est ce "présent" qui entre en scène?

The Present

Paul Graham capture l'extraordinaire de l'ordinaire en un hommage surprenant à New York, sa ville d'adoption depuis 2002.

"Une photo qui a pour but de capturer l'essence d'un moment, d'un personnage ou d'une situation souvent échoue alors qu'une photo qui ne se veut rien de plus qu'un memento peut étrangement y parvenir.
Faire ce constat avec lucidité et sans préjugé permet d'aller plus loin puisque rien ne s'établit de soi-même par la technique, les principes photographiques ou même la sincérité de l'intention du photographe." Paul Graham

jeudi 15 novembre 2012

A propos de l'écriture glagolitique en Croatie


L' alphabet glagolitique est le plus ancien alphabet slave : il date du IX° siècle.
Il tire son nom du vieux mot slave "glagoljati" qui signifie "verbaliser".

Inventé sur la base de l'alphabet grec, il a été utilisé dans le Royaume de Grande Moravie par les saints missionnaires byzantins Cyrille et Méthode pour rendre accessibles les Saintes Écritures aux slaves dans le cadre de leur programme d'évangélisation.
Il fut également utilisé lors de l'évangélisation des Balkans.

Cyrille et Méthode

Cet alphabet glagolitique a donc été couramment utilisé au Moyen-Âge en Croatie, en Bulgarie, au Monténégro, en Bohême. Il a été le précurseur de l'alphabet cyrillique, qui l'a supplanté.


Mon intérêt pour cet alphabet s'est accru fortement lors de mon séjour en Istrie/Croatie de cet été.

Je ne connaissais auparavant ce nom que par la magnifique  "Messe glagolitique" de Leos Janacek.
(Voir ma note ici ).

Des stèles datant du XI° siècle, de nombreux missels et des incunables prouvent l'utilisation de cette écriture glagolitique dans la liturgie en Croatie jusqu'au XVIII° siècle.


Inscriptions en glagolitique sur des stèles
vues à Brijuni (Croatie-Istrie)
Stèle de Baska (XI° s) où apparaît pour la 1° fois
la mention de la nation Croate (Hrvatski)

Le "vieux-slave" est la plus ancienne langue slave attestée, mais qui n'est pas l'ancêtre des langues slaves (cet ancêtre est le proto-slave). Cette ancienne langue slave méridionale s'écrivait en glagolitique .
Ce "vieux-slave" a été adopté comme langue liturgique par l'Eglise orthodoxe dans plusieurs pays de langue slave. On parle alors plutôt de "slavon d'église".

En utilisant le glagolitique, la Croatie catholique était le seul pays qui avait été autorisé par la papauté à utiliser une autre langue que le latin pour la liturgie.

Voir ici pour les détails et variantes, ronde ou carrée, de cette écriture : à l'origine, l'écriture était arrondie, puis est devenue de plus en plus anguleuse au cours des siècles.

Évangéliaire de Reims du XI° siècle
écrit en partie en glagolitique

L'un des plus anciens documents en vieux-slave est l’ Évangéliaire de Reims de Saint Procope (XI° siècle), dit "Texte du Sacre", écrit en partie en glagolitique.
Il aurait été introduit en France par Anne de Kiev, épouse de Henri I° et qui fut donc Reine de France de 1051 à 1060.
Très curieusement, cet Évangéliaire aurait été utilisé lors du sacre des Rois de France, pour leur prestation de serment, mais rien n'est moins sur :  beaucoup disent qu'il s'agirait en fait d'une légende...allez savoir. En tout cas, voir ici

Par contre, une chose est sure, c'est que la liturgie a été célébrée en glagolitique, pendant 600 ou 700 ans, dans les merveilleuses petites églises et chapelles que nous avons pu admirer, telle celle de Hum, "la plus petite ville du monde" (13 habitants)!

L'Eglise de Hum
fondée en Croatie au XI°siècle