mardi 10 mai 2011

"Essential killing" : un chemin de croix en blanc et rouge

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C'est un calvaire que traverse "Mohammed", un chemin de croix silencieux dans le blanc de la neige et le rouge du sang qui peu à peu s'égoutte.
La lente montée d'un Golgotha...

Il s'agit de "Essential killing", un film de Jerzy Skolimovski (2010)

Tout d'abord un pays sans nom fait de sable : Afghanistan, Israel, ou ailleurs encore?

Ensuite un pays sans nom, autre terra incognita, fait de forêts, de neige et de glace : Canada, Pologne?

Pour un homme sans identité (un terroriste? Un homme terrorisé, surtout) en fuite éperdue, un homme fait de rage, d'instinct animal de survie, même s'il faut tuer pour cela : à la fois proie et prédateur.


Et puis le bruit, assourdissant des hélicoptères, des lance roquettes, des hurlements d'officiers imbéciles.

Et puis le silence des forêts et des espaces blancs et glacés, interrompu par les tronçonneuses, les hurlements des chiens et des loups.

Pas une parole prononcée par un Vincent Gallo absolument époustouflant, en fugitif radicalement étranger au monde, partout piégé : dans le camp (Gantanamo?), par les liens qui l'entravent, par un piège à loups, coincé sous un tronc d'arbre, enfoui dans la neige.

La seule personne, être humain, une femme, auprès de qui le fugitif trouve un moment de secours et un éclair d'humanité est sourd muette (Emmanuelle Seigner, magnifique, dans sa brève apparition).

Et puis une opposition, un contraste choc entre ce qui se vit, dans cette fuite éperdue, avec les évocations délavées en bleu/rose de ce qui a du être une vie antérieure, "avant" que tout cela n'arrive, une vie terne bercée par les invocations répétitives d'un formattage religieux.

Les couleurs sont dures, contrastées, en blanc, noir et rouge sang dans ce qui est maintenant vécu avec une intensité incroyable imposée par les évènements et à laquelle on n'a pas le choix de faire ou de ne pas faire face : il faut survivre et résister.

Une situation absurde :
perte de sens.

Une fuite qui est aussi l'occasion d'un contact forcé avec les éléments (terre, eau, air, feu) et avec les animaux (se nourrir de fourmis, d'un poisson juste péché, dévoré cru, être proche de cerfs et de daims qui n'en sont pas effrayés pour autant, approché, et accepté par une horde de loups, comme si le fugitif était l'un des leurs...) : confusion d'identités.

Cette forêt ne réserve au fugitif que des épreuves : à peine libéré d'un piège, il est à nouveau captif d'une façon ou d'une autre!

Ce calvaire est un véritable chemin de croix qui amène cet homme au bout de lui même : le supplicié termine sa folle errance vers la mort préssentie, porté par un cheval blanc magnifique, dans une ultime communion apaisée avec la vie animale et la nature.

Vincent Gallo illustre à merveille cette animalité.
Avec des yeux de fou, de feu, de loup traqué, il porte à lui seul ce film splendide et dur, sans prononcer une seule parole.
Au delà des mots.
Par delà le bien et le mal.

Skolimovski , ci-contre, réussit à situer, paradoxe, cette traque éperdue totalement hors du temps : une oeuvre de créateur admirable!

Je suis enchanté d'avoir pu découvrir ce réalisateur dont j'ignorais l'existence, par la note enthousiaste de JCMEMO (voir ici) . Merci à toi!

2 commentaires:

JCMEMO a dit…

Plaisir de me replonger, grace à ta belle chronique, dans ce trés beau film..
Heureux aussi que tu partages mon enthousiasme !
Amicalement.

JCMEMO a dit…

J'ai été stupéfait en cliquant sur le mot "ici" de me retrouver sur mon article du film !!!!!
A l'occasion, si ce n'est pas trop long et trop complexe (je ne suis pas trés doué), pourras-tu m'expliquer la procédure, si tu as le temps...
JC