dimanche 9 janvier 2011

Le promeneur du 68 sur les traces du Renard Pâle, au Pays Dogon

Tout comme il y a exactement un an, je repars dans quelques jours en Afrique, chercher soleil, chaleur, rencontres : au Pays Dogon, sur les traces du Renard Pâle.
A l'Origine, le Renard Pâle, Yourougou, sema le désordre nécessaire à l'ordre du monde. Il garda le pouvoir de prédire l'avenir avec ses pattes, sur les tables de divination.
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"Symbole psychologique de cette partie de l'homme qui le pousse à se rebeller contre l'ordre établi, le Renard représente la liberté de l'individu s'affranchissant des règles de la vie communautaire et cherchant à construire son propre destin.
Un tel personnage est dangereux pour une société vivant dans des conditions difficiles et qui doit assurer sa survie par des solutions collectives.
C'est pourquoi il est réprouvé.
Et pourtant il est nécessaire car il n'y a pas d'ordre possible sans désordre." Geneviève Calame-Griaule

J'irai marcher dans une autre partie du Pays Dogon, au Mali, pour lequel j'ai eu un vrai coup de coeur, au sud ouest de la falaise de Bandiagara.
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Arrivée et départ du périple en tout petit comité : Ouagadougou, (appelée familièrement Ouaga) au Burkina.

La question qui se pose est bien entendu celle de la sécurité.

Les zones déclarées comme accessibles par le Ministère des Affaires étrangères se réduisent comme peau de chagrin, à la suite des dramatiques évènements récents, mais à la taille de l'Afrique, il reste encore de belles possibilités de découvertes.
Le Burkina et le Pays Dogon sont encore pour le moment des îlots de calme, mais il faut être prudent.-
Je viens de téléphoner à mon ami malien et dogon qui m'attendra à Ouagadougou : ah, le portable, c'est bien pratique!
En quelques secondes, j'ai pu lui parler : il était en 4x4 sur une piste du côté du fleuve Niger.

Tout va bien, vu des locaux, sur place, il n'y a pas de quoi s'alarmer...même si le grand banditisme sévit du côté des zones désertiques du Sahel, beaucoup plus au Nord.
Il serait cependant hors de question pour moi de retourner à Tombouctou, qui est désormais zone interdite. Il est vrai que l'an passé, nous étions encadrés là bas par l'armée malienne!

Aller au Burkina-Faso, le Pays des Hommes Intègres, anciennement Haute Volta, c'est visiter le coeur de l'Afrique de l'Ouest, son archétype.

Le Burkina est un pays enclavé, au sol pauvre ; ses habitants ont du faire preuve d'une grande solidarité pour s'en sortir.

Ils sont ouverts, souriants et accueillants, marrants et sympas...mais il ne faut pas être pressé : ça ne sert à rien d'arriver à l'heure aux rendez vous.
L'alsacien s'adaptera!
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Il n'y a pas d'urbanisation trop rapide.

Excepté Ouaga (1,5 millions d'habitants), la capitale culturelle, administrative, économique.

Ouagadougou, ou Wogodogo, signifie "Là où on reçoit les honneurs et le respect", beau programme!

Une particularité : l'aéroport a été construit avant l'expansion urbaine, ce qui fait qu'il est maintenant en plein centre ville!

Ouaga est le site d'un des plus grands marchés de l'Afrique de l'Ouest, et accueille le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision.

Nous ne manquerons pas Bobo Dioulasso, "La Ville des Bobos et des Dyoulas".
C'est, parait-il, une ville très agréable et pas trop chaude.
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Enfin, voila un beau périple en perspective, d'une quinzaine de jours qui, je l'espère, devrait se passer au mieux, et nous ne prendrons pas de risques, bien que dans des conditions relativement rudimentaires, avec beaucoup de rencontres au programme!
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Alors, silence radio sur ce blog jusqu'à début février.
Je vous souhaite tout le meilleur!

"La Fille du Far-West" de Puccini au Met

Hier soir, 8 Janvier, retransmission depuis le Met, à New York, en live, au Kinépolis de Mulhouse, de "La Fille du Far-West" ("La Fanciulla del West") : excellente soirée!

Cet opéra en 3 Actes de Giacomo Puccini (Livret de Guelfo Civinni et Carlo Zangarini), d'après la pièce de David Belasco, "The Girl of the Golden West", fut le premier opéra créé au Met il y a 100 ans, le 10 Décembre 1910, avec Caruso sous la direction de Toscanini.

La partition est préfacée d'une citation d'une vieille histoire californienne :

" A cette curieuse époque, des gens venus de Dieu sait où groupèrent leurs forces dans ces lointaines terres de l'Ouest,et, selon la rude loi du camp, oublièrent vite leur véritable nom, combattirent, rirent, jurèrent, tuèrent, aimèrent, et accomplirent leur étonnante destinée d'une façon qui paraîtrait aujourd'hui incroyable.
Nous sommes surs d'une seule chose : ils vécurent."

Puccini décida que son opéra se déroulerait dans cette atmosphère.

En 1907, en effet, Puccini exprimait son "ras-le-bol" d'oeuvres telles que La Bohème, Madame Butterfly, Tosca, et sentait la nécessité de changer de style...

Nous sommes transportés dans l'univers d'un camp minier en 1850, au pied des Cloudy Mountains, en Californie, au temps de la Ruée vers l'Or.

Minnie tient un saloon, La Polka, où les mineurs jouent et boivent.

Le Sherif Jack Rance, lui aussi, y boit et y joue au poker.

Minnie, que tous aiment, respectent et protègent essaye d'organiser une école élémentaire pour les moins évolués...
Survient un étranger, Dick Johnson ...

La succession d'épisodes dans le premier acte, tantôt drôles, tantôt sérieux empêche la monotonie de s'installer.

L'opposition entre le monde des saloons du premier acte et celui de la solitude des montagnes de la sierra californienne des actes suivants montre chez Puccini un sens théatral évident.

Cette belle histoire d'amour sur fond de jalousie et de réglements de comptes atteint son apogée au cours d'une partie de poker où les destins se jouent et se nouent...

Cet opéra présente une richesse orchestrale et harmonique unique chez Puccini. Mais le succès se fait attendre, l'audace de l'écriture et le "happy end" déroutent le public.

L'oeuvre, considérée par Puccini comme son meilleur opéra, tombe peu à peu dans l'oubli.

Il faudra la volonté d'artistes comme Dimitri Mitropoulos et Placido Domingo pour attirer à nouveau l'attention du public et des critiques sur cette oeuvre remarquable.

Cet opéra dénote l'influence de Debussy et de Strauss, tout en laissant la place à quelques thèmes authentiques du Far-West.

La Fille du Far-West rappellait, en 1910, bien entendu, aux Américains une page d'histoire que certains d'entre eux avaient vécu ou dont ils avaient entendu parler par des proches...

Deborah Voigt, soprano, campe magnifiquement, avec force et sensibilité, une Minnie pleine d'allant et d'énergie, incarnant parfaitement cette "femme forte" que tous aiment et respectent, une "femme forte" qui, en elle-même, est bien seule, et qui fond devant cet inconnu au passé trouble, Dick Johnson, qu'incarne avec humanité Marcello Giordani, ténor.

Lucio Gallo, baryton incarne avec réalisme un sherif Jack Rance gagné par la jalousie et le désir de vengeance qui le ronge.

Une épopée grandiose et romanesque servie par des interprètes tous excellents, et un chef d'orchestre particulièrement brillant, Nicola Luisotti .

La diva américaine Deborah Voigt, grand nom de la scène lyrique internationale, nous a offert dans le rôle titre des moments exceptionnels!

Voir :

jeudi 6 janvier 2011

Un "Rêve d'Automne" fort et désespéré

J'ai assisté mardi soir, au Théatre de la Ville, à Paris, à la représentation de "Rêve d'Automne" de Jon Fosse, mis en scène par Patrice Chéreau (décor de Richard Peduzzi).

J'en suis ressorti estomaqué, abasourdi, suffoqué : comme ayant reçu un coup de poing à l'estomac.

Voilà un texte fort, des interprêtes totalement engagés.

Le couple qui est au centre de "Rêve d'Automne" est stupéfiant : L'Homme , Pascal Greggory, et la Femme, Valeria Bruni-Tedeschi, ne peuvent vivre ni l'un avec l'autre, ni l'un sans l'autre.

Une lutte permanente les relie : les corps sont comme jetés dans cette lutte, sans espoir de retour en arrière, par un choc physique, affectif, intellectuel, sexuel d'une violence qui coupe le souffle.

Sont aussi présents les évitements, les retenues, préludes à la découverte ou la redécouverte de l'autre.

Dans sa belle mise en scène, Patrice Chéreau met en évidence les télescopages de l'espace et du temps, dans cet affrontement qui dure, mais qui est inexorablement voué à la mort.

Le rôle du Père s'impose par le silence d'un Bernard Verley étonnant : celui d'un homme en perdition, dont la mort est comme naturellement offerte à nos yeux : vivant ou mort, pas de différence!

Bulle Ogier, la Mère, a été pour moi une découverte (je ne l'avais vue jusqu'à présent qu'au cinéma, où sa filmographie est impressionnante) ; elle est bouleversante dans son ambiguïté, et une force profonde, viscérale et sombre émane d'elle.

Elle est toute entière la Peur, une Peur hystérique.

La vie, la passion folle et le désir sont heurtés de plein fouet par l'irruption obscène des enterrements : les générations passent et disparaissent ; la mort réclame son dû et finit par gagner.
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Quelle destin implacable fait disparaître un à un tous les membres de la lignée de l'Homme : la grand-mère, le père, le fils, le petit-fils? Tous deviennent des ombres, des cendres dont la mémoire même finira par s'effacer...

Ne restent que la mère, la Femme, l'épouse de l'Homme, et, finalement, pour elles aussi, il est temps de disparaître dans le néant...

Le décor étonnant de Richard Peduzzi reproduit une enfilade de salles du Louvre (ou le spectacle a d'ailleurs été donné) avec d'immenses tableaux haut perchés.
Mais ce musée est aussi un cimetière : des plaques, aux murs, donnent les noms de disparus, qui furent un moment jeunes, qui ont aimé, un jour, et dont il ne reste que peu de trace, car leur ombre même s'évanouit dans les mémoires.

Le Musée conçu comme Cimetière, voila qui contribue au choc que nous recevons.

Le désir fou et désespéré se bat contre la dépression au travers d'un texte charnel et dur : les désirs sont assouvis parfois, contrariés toujours...

"Le théatre est la plus humaine, et pour moi la plus intense, de toutes les formes d'art" Jon Fosse

voir :

lundi 3 janvier 2011

Un DRH à la recherche de son humanité

Le "Voyage du Directeur des Ressources Humaines" d' Eran Riklis est un vrai bijou, dans le genre tragi-comique.

Ce long métrage français, allemand, roumain, israélien nous conte le périple qui entraine le DRH de la plus grande boulangerie de Jérusalem jusqu'au fin fond de la Roumanie, en plein hiver.

Notre DRH se voit contraint d'accompagner l'encombrant cercueil d'une employée qu'il ne connaissait pas, victime d'un attentat terroriste en plein Jérusalem, vers sa dernière demeure.


Il apprend petit à petit à la connaître, post mortem, en accomplissant ce voyage chaotique et initiatique en compagnie du fils révolté de la défunte, d'un journaliste plus qu'encombrant, d'une consule excentrique et j'en passe.

Le voyage n'est pas encore terminé quand le film touche à sa fin, mais ce qui est évident, c'est que notre Directeur des Ressources Humaines, au cours de cette aventure rocambolesque, arrive peu à peu à la découverte de lui-même et de sa propre humanité.

Ses contacts désopilants et tragiques avec ses protagonistes, les aventures à rebondissements multiples, les obstacles administratifs insensés, les pannes diverses et variées font petit à petit évoluer notre homme, dans un cheminement intérieur qui m'a bouleversé.

Il en ressortira tout à fait apte à s'occuper désormais des "Ressources Humaines", certes, certes, mais nous ne saurons jamais s'il finira un jour par regagner son poste à Jérusalem : cet accompagnement rocambolesque du cercueil de la pauvre Yulia n'aura peut-être pas de fin...et c'est peut-être bien ainsi, car notre DRH, en voyageant avec la mort, ne cesse de découvrir la vie sur son chemin.

Il se dégage de ce film une puissance émotionnelle et une tendresse d'autant plus grandes qu'elles jaillissent de situations totalement cocasses, de grands moments d'autodérision, d'humour déjanté, en particulier dans le choc des cultures. Le choix des acteurs est magnifique...et quelles "tronches", en Roumanie!

Eran Riklis réussit à faire cohabiter mort et comédie dans cet improbable et picaresque road movie : c'est désopilant, dramatique et tendre!

Qui plus est, un excellent tempo se maintient du début à la fin!

Il y a un côté dans ce film qui me fait d'ailleurs penser à Emir Kusturika.

Eran Riklis, réalisateur du film "Les citronniers" fait se rencontrer ici deux cultures, celles d'Israël et de la Roumanie, deux pays très intéressants par ailleurs au niveau de leurs productions cinématographiques actuelles.

Cette oeuvre épique et émouvante, attachante et profondément humaine, a obtenu le Prix du Public au dernier Festival de Locarno : épatant!

Natif, en 1954, de Jérusalem, le réalisateur, qui n'a cessé de voyager au travers du monde, aime à rappeler qu'il est un "citoyen du monde".

Eran Riklis a été marqué par son service militaire en Israël en 1973.

Ce film semble moins politique que les précédents, mais en apparence seulement, car il y traite de l' immigration de Yulia en Terre Promise (sujet brûlant actuellement en Israël) , et de son rêve brutalement brisé par le terrorisme.

"Mes histoires sont israéliennes, mais ont une dimension universelle".
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Voir la bande annonce :