jeudi 30 septembre 2010

"Un homme qui crie" de Mahamat Saleh Haroun


Voici un homme qui crie, mais son cri, qui ne s'entend pas, qui est tout intérieur, n'en est que plus assourdissant.

J'ai été bouleversé par le film de Mahamat Saleh Haroun, qui vient de sortir en salle mercredi 29 Septembre.

Le réalisateur traite le sujet de la guerre civile au Tchad du point de vue de ceux qui essayent de passer entre les gouttes et de sauver leur peau.

C'est un film sur la peur vissée au ventre et qui génère ce cri inaudible qui vrille les tripes.

Film très fort et sensible sur l'absurdité et les engrenages insensés de la guerre : le père finit par "donner" son fils à l'armée loyaliste tchadienne qui le réclamait pour livrer la guerre aux rebelles.

De ce fait, le père récupère son poste de maître nageur à la piscine du grand hôtel de N'djamena, poste d'où son fils l'avait évincé.

Le réalisateur explore les méandres de la culpabilité d'un homme sans pour autant porter de regard accusateur.

Nous découvrons la réalité du Tchad et de nombre de pays d'Afrique au travers des destins des personnages : le père, le fils, la copine du fils, la mère, et tant d'autres ballotés au gré des conflits et de l'avancée des combattants.

Le réalisateur fait percevoir la peur que génère une guerre toute proche sans pourtant rien en montrer de violent ; elle est comme en toile de fond.

Tout est crédible dans ce film qui s'attarde lentement, silencieusement, sur les visages, et fait apparaître progressivement, avec un grand doigté, le véritable drame des rapports entre ce père et son fils, ce qui génère une véritable émotion.


"Un homme qui crie" n'est pas un film sur la guerre, mais sur ceux qui la subissent, avec ce qu'ils sont, avec leur humanité qui s'y révèle dans son ambiguïté et sa richesse.

mercredi 29 septembre 2010

L'Enfer en Toscane !

Non, ce n'est pas ce que nous avons vécu en Toscane du 12 au 19 Septembre!

Bien au contraire : cette semaine de randonnée entre Florence et Sienne fut un vrai Paradis pour les sens, un vrai bonheur le long de sentiers secrets (et non balisés), qui nous ont menés de collines en collines...et de trattorias en trattorias, à la découverte des vins de Toscane...

Et qui nous ont aussi menés sur les traces de Dante!
(La photo ci-dessus a été prise devant le Collège de France à Paris)

Dante Alighieri est né en effet le 29 Mai 1265 à Florence, et je suis passé devant sa maison natale, à droite, qui est désormais un musée.

C'est l'époque troublée de la rivalité violente entre guelfes (soutenant, plus ou moins la papauté) et gibelins (soutenant les Hohenstaufen et le Saint Empire Romain Germanique)

Dante est mort le 14 septembre 1321 à Ravenne (où j'ai pu voir sa tombe lors d'un autre voyage).

En effet, suite à de sombres querelles politiques entre guelfes blancs et guelfes noirs, il fut banni de Florence avec d'autres guelfes blancs et finit sa vie à Ravenne.

Dante était en effet très engagé politiquement et s'opposait à la politique d'ingérence du Pape.
Il est à noter que le bannissement de Dante de la ville de Florence ne fut levé qu'en...2008.

Notre marche nous a amené, entre autres, à Monteriggionni, dans la province de Sienne.

Ce bourg calme de 9000 habitants fut un avant poste siennois tourné vers Florence. La rivalité était en effet forte entre Florence et Sienne.

Monteriggionni est connue pour ses 15 tours, sur son mur d'enceinte, dont 7 ont été restaurées.

Dante, dans l' Enfer, compare les tours de Monteriggionni aux Géants (Chapitre XXXI).

"A peine avais-je tourné la tête de ce côté que je crus voir plusieurs très hautes tours ; et moi :
"Maître, dis moi, quelle est cette cité?" [...]
Tu verras bien, si tu arrives jusque-là combien les sens y sont trompés par la distance ; tâche de presser un peu le pas.[...] Sache que ce ne sont pas des tours mais des Géants, et qu'ils sont dans le puits, le long de la margelle, tous plantés là, du nombril jusqu'aux pieds."

Quand j'approchais de plus en plus du bord, l'erreur disparaissait, et la peur augmentait.

Car, comme on le voit sur son enceinte ronde Monteriggionni se couronner de tours, ainsi, sur la crête qui entoure le puits se dressaient comme des tours à moitié de leur corps les horribles Géants que Jupiter menace encore du haut du ciel, chaque fois qu'il tonne."

"...pero che, come su la cerchia tonda Monteriggionni di torri si corona..."

Monteriggionni n'a pas tellement changé depuis l'époque de Dante, émergeant au loin des terres fraîchement labourées à la si belle couleur ocre des environs de Sienne.
Elle s'est juste un peu refermée autour de sa place centrale, la Piazza Roma, mais les souvenirs du trecento y sont encore présents.

mardi 21 septembre 2010

Viens voir les bohémiens, voir les musiciens...

"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen.

Voilà la troisième fois que j'en vois.
Et toujours avec un nouveau plaisir.

L'admirable c'est qu'ils excitaient la haine du bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons.

Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols - Et j'ai entendu de jolis mots à la Prud'homme.

Cette haine là tient à quelque chose de très profond et de très complexe.

On la retrouve chez tous les gens d'ordre.

C'est la haine que l'on porte au Bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète.

Et il y a de la peur dans cette haine.

Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère.
Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent.

Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton."

Correspondance de Gustave Flaubert,
Lettre à George Sand. 12 Juin 1867.
Ed de la Pleiade - Tome V - p. 653

lundi 20 septembre 2010

Un Chef d'Oeuvre à Metz

L'exposition temporaire au Centre Pompidou de Metz que j'ai eu le très grand plaisir de visiter le samedi 4 septembre est intitulée Chefs d'Oeuvre?

Seriez vous par hasard en quête de Chefs d'Oeuvre de notre temps?

N'allez pas chercher plus loin!


Celui que nous offrent les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines est une véritable merveille d'audace qui défie l'imagination et les lois de la pesanteur.

Pas grand chose à voir avec son grand frère parisien aux airs tristes de paquebot échoué et vieillissant.

Les modélisations sur ordinateur et les calculs de résistance des matériaux s'allient ici à la poésie pure.


Fasciné et subjugué par cette création architecturale de tout premier plan, j'étais en état de me laisser aller à la rencontre d'une exposition exceptionnelle de plus de 800 oeuvres constituant, dans un parcours chronologique, un ensemble inédit et magistral .

On passe avec ravissement d'enluminures à Jacques Callot, puis à Kupka, Hans Bellmer et tant d'autres génies créateurs.


Je suis allé d'étonnements en étonnements à la rencontre d'oeuvres inattendues, pour la plupart du XX° siècle, mais pas seulement.

Peintures, sculptures, installations, design...tous les champs de la création sont représentés dans un environnement totalement adapté.

Je ne peux que vous crier, comme la sculpture animée ci-dessous: allez-y toutes affaires cessantes!




Mais attention : fin de l'exposition, le 25 Octobre 2010!
Bonne visite!

vendredi 10 septembre 2010

Omar Khayyam : l'Iran, les femmes, le vin et les amis

Aujourd'hui, j'ai tenté de classer quelques livres dans ma bibliothèque : mission impossible, car dès qu'un semblant d'ordre s'installe, je suis perdu!
Ce faisant, je suis tombé en arrêt sur un petit livre réédité en 1951 à Paris par les Editions d'Art Piazza, avec une mise en page soignée et une belle miniature en frontispice : Le Robaiyat d' Omar Khayyam.
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Livre bien connu de cet écrivain et savant né en Perse, l'Iran actuel, vers 1048 et mort en 1131.
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Omar Khayyam est considéré comme l'un des plus grands mathématiciens du Moyen Âge.

Il fut d'ailleurs directeur de l'Observatoire d'Ispahan en 1074.
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Mais il est surtout connu pour ses poèmes, et en particulier ses "Robaiyat" (quatrains) qui, sous leur simplicité apparente recèlent des perles mystiques faisant de lui un soufi.

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Celui qui se disait infidèle, mais croyant, pronait l'ivresse de Dieu.
Sous l'aspect hédoniste de ses quatrains, on trouve une dimension mystique.

"Bois du vin! Tu recevras de la Vie Eternelle.
Le vin est le seul philtre qui puisse te rendre ta jeunesse.
Divine saison des roses, du vin et des amis sincères.
Jouis de cet instant fugitif qu'est la vie!"

Quel contraste avec l'Iran actuel, ou tout au moins avec ses dirigeants et ses chefs religieux qui tout à la fois recherchent l'arme atomique et lapident les femmes.

Tout au moins avec ses dirigeants et ses chefs, car, si on en croit le témoignage de Bernard Ollivier grand marcheur devant l'Eternel (La Vie commence à 60 ans Phébus 2008) :

"La traversée de l'Iran efface dans mon esprit toutes les images violentes que l'actualité nous impose depuis des années.
Je découvre une population gentille, cultivée, accueillante en diable, opposant à la violence et à la tyrannie des mollahs une résistance calme et tétue, et répondant à la brutalité des pasdarans, ces policiers de la religion, en récitant les stances de leurs poètes qui chantent les femmes et le vin comme autant d'hymnes à la liberté."

mercredi 8 septembre 2010

Les Templiers à Metz

Lors de mon passage dans la splendide ville de Metz vendredi dernier, pour aller visiter le Musée Pompidou, j'ai pu admirer la petite et magnifique Chapelle des Templiers.

En effet, les Templiers s'installèrent dans cette Ville Libre du Saint Empire Romain Germanique dès 1133 et, à la fin de ce siècle, y érigèrent leur Commanderie ainsi que la Chapelle (construite elle entre 1180 et 1220).

La Chapelle est tout ce qui reste actuellement de la Commanderie.

Par le nombre de ses établissements, l' Ordre du Temple était enraciné profondément dans l'espace lorrain.

Issu du grand mouvement des Croisades du XII° siècle, l' Orde du Temple ériga de nombreuses Commanderies ayant initialement pour but de protéger les pélerins en route vers la Terre Sainte.
La Commanderie de Metz fut l'une des premières installées sur les terres du Saint Empire.
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La Terre Sainte fut perdue définitivement en 1291 et le 13 mars 1312, à la suite du Concile de Vienne, le Pape Clément V supprima l'Ordre, qui disparut en Allemagne et sans doute aussi à Metz.
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Une partie de leurs biens, dont la Commanderie et cette Chapelle fut dévolue en 1319 aux Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem et une autre aux Chevaliers Teutoniques.

Lors du rattachement de Metz à la France et la construction de la citadelle en 1556, la Commanderie sera en partie détruite.
Restera la Chapelle, qui servira de magasin à poudre, puis, beaucoup plus tard, vers 1900, de ...central téléphonique pour les transmissions militaires.

Elle est classée Monument Historique dès 1840.

Elle échappe à nouveau à la destruction lors de la construction de l'Arsenal militaire en 1861 grâce à l'action de Prosper Mérimée (alors Inspecteur Général des Monuments Historiques).

Aujourd'hui, elle fait partie du patrimoine de la Ville de Metz et est réservée à des manifestations culturelles et fait partie de l'ensemble de l'"Arsenal".

En hommage au Saint Sépulcre de Jérusalem, son plan est octogonal et typiquement templier.
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Il est à noter que cette Chapelle se situe à la transition entre l'art roman tardif (murs épais et étroites fenêtres en plein cintre) et l'art gothique ( les voutes sont en croisée d'ogives).
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On y observe un choeur carré et une abside en cul de four avec une curieuse toiture en pierre.
Elle s'inspire de la Chapelle des Templiers de Laon construite 40 ans auparavant.

Les murs sont recouverts de fresques, restaurées en 1910-1913 (ainsi que les vitraux) par les Allemands.

Ce fut le peintre Schwarting de Hanovre, qui exécuta ces peintures, d'après le projet du Professeur Hermann Schaper, déjà approuvé en 1904 par l'Empereur Guillaume II lui-même.
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Ces peintures murales laissent apparaître des traces de fresques du début du XIV° siècle, vraisemblablement datant de l'époque des Templiers, en particulier une Vierge assise sous un arc trilobé.

La croix pattée des Templiers orne toujours le linteau de la porte d'entrée.

" Dans la structure générale de l' Ordre des Templiers, la Commanderie messine, comme d'autres, devait assumer sans doute, en tout premier lieu, le rôle d'un support logistique venant à l'appui d'un appareil militaire dont le fer de lance se situait au Proche-Orient. Il n'en subsiste aujourd'hui que le message spirituel apporté par une chapelle précieuse." Eugène Voltz.
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Si vous passez par Metz pour visiter le Musée Pompidou, dont je parlerai une autre fois, ne manquez pas cette petite merveille!