mardi 28 décembre 2010

Quand Jean-François Zygel nous explique Massenet

Hier soir, 27 Décembre, au Théatre Musical du Châtelet, à Paris, j'ai eu la chance d'avoir une place pour une magnifique "Leçon d'Opéra" donnée en public, devant une salle comble, par Jean-François Zygel.

Ce musicien hors pair, connu pour ses "Leçons de Musique" télévisées est un passionné, d'une connaissance musicale et d'une compétence rares.
Il m'a totalement fasciné et a enthousiasmé l'auditoire.

Le programme de cette soirée était le Werther de Massenet drame lyrique en quatre actes datant de 1892.

Jean-François Zygel accompagnait les solistes, en pianiste virtuose, selon la réduction pour piano écrite par Massenet lui-même.

Delphine Haidan, mezzo-soprano était Charlotte ; Philippe Do, ténor, était Werther ; Thomas Dolié, baryton était Albert.

Un excellent musicien, Philippe Geiss interprétait les passages au saxophone, instrument qui a effectivement été utilisé par Massenet, et qui ajoute une touche de modernité, et une sensualité extraordinaire, en particulier lors d'un duo entre Charlotte et..le saxophone.

J'étais particulièrement sensibilisé à cette "Leçon d'Opéra", ayant relu il y a peu Les Souffrances du Jeune Werther de Goethe, et ayant assisté il y a quelques mois à une représentation de cet Opéra de Massenet.

Avec un enthousiasme communicatif, et beaucoup d'humour, Jean-François Zygel nous a expliqué comment Massenet pouvait être considéré comme "le fils naturel de Wagner et de Proust", plus intéressé par la description toute romantique de l'évolution, du cheminement des sentiments dans l'âme et l'esprit des protagonistes que par une peinture plate de ceux-ci.

Il a su nous faire percevoir les thèmes récurrents (le clair de lune, la mort,...), les accords, les points communs avec Wagner, les subtilités de l'harmonie, de l'orchestration, de la composition de cette oeuvre.

Jules Massenet (1842-1912) est nommé en 1878 professeur au Conservatoire de Paris, et compte parmis ses élèves Gustave Charpentier, Ernest Chausson, Georges Enesco, Reynaldo Hahn, Florent Schmitt,...excusez du peu!

Parmi ses oeuvres célèbres : Manon, Don Quichotte, Hérodiade, Le Cid, Thais, le Jongleur de Notre Dame, et Werther.

Il est considéré comme l'héritier de Charles Gounod et influencera Leoncavallo, Puccini, Debussy,...

Le personnage de Werther dans l'Oeuvre de Massenet est l'exact reflet du héros romantique dans l'oeuvre de Goethe :

"Pourquoi me réveiller, Oh souffle du printemps? / Demain dans le vallon viendra le voyageur / Se souvenant de ma gloire première / Et ses yeux vainement chercheront ma splendeur / Ils ne trouveront plus que deuil et que misère! Hélas! (Acte III, Sc. 3)

"Pourquoi trembler devant la mort...devant la nôtre ? / On lève le rideau puis on passe de l'autre côté! / Voilà ce qu'on nomme mourir." (Acte II, Sc.7)

Bref, une "Leçon d'Opéra" magistrale, à la fois pédagogique et précise, techniquement parfaite et pleine d'humour : un grand moment de bonheur pour les amateurs d'opéra!
Voir la "bande annonce" de cette soirée :

lundi 27 décembre 2010

Le premier Palais de la République, à Paris

Passant souvent devant l' Hôtel de Ville de Paris, je me suis interrogé plus d'une fois sur son histoire, son architecture et son aménagement intérieur.

J'ai eu récemment l'occasion de le visiter, en visite privée de quelques personnes, visite qui a répondu à nombre de mes questions et de mes attentes.

J'y ai découvert non seulement que l'édifice était le plus grand Hôtel de Ville d'Europe (pas moins de 110m de long, 85 m de large et 46m de haut), mais aussi que c'était un lieu de modernité au moment de sa reconstruction à la fin du XIX° siècle : chauffage par ventilation, ascenseurs hydrauliques, éclairage électrique et téléphone!

L'histoire de l' Hôtel de Ville de Paris débute en 1533, suite à l'initiative de François I° de construire un édifice qui fut digne des parisiens.

Un architecte italien - surnommé le Boccador à cause de son énorme barbe rousse -, imprégné des idées de la Renaissance conçut un bâtiment large, lumineux, aéré.

La construction s'achèvera seulement près de 100 ans après, en 1628, sous Louis XIII, suite aux guerres de religion.
C'est dans ce lieu que se sont forgées, au cours des siècles, les libertés communales.

La municipalité parisienne est vraiment née au XIII° siècle, sous Louis VI le Gros. C'est à cette époque que les marchands de Paris vont acquérir une certaine autonomie, et en contrepartie ils auront une responsabilité au niveau de la vie de la cité(pavage, éclairage, sécurité).

La municipalité parisienne a toujours été installée au centre de la ville, sur cette place qui descendait en pente douce vers la Seine : la Place de Grève, lieu de fêtes, de manifestations diverses, d'exécutions, d'embauche (on disait "être en Grève", qui s'est transformé, avec un sens différent, en "faire grève").

Il devient, sous la III° République naissante, fragile et menacée par la Monarchie, le premier Palais qui symbolise les valeurs de la République, issue de la Révolution Française de 1789 (travail, instruction,...).

Malheureusement, l'Hôtel de Ville brûle en 1871 suite aux révoltes de la Commune de Paris.

Il fut reconstruit en 8 ans et inauguré en juillet 1882, sur des plans très proche du bâtiment brûlé.

A noter pour la petite histoire que le cadran de l'horloge, situé sur la façade principale, sous une statue représentant la Ville regardant Paris à ses pieds, est le seul élément récupéré de l'ancien bâtiment incendié...

Ce Palais magnifique est censé rivaliser avec Versailles, en particulier avec sa galerie des glaces frappée aux armes de la République Française.

Les Rois avaient leurs nombreux châteaux, mais la République n'avait rien encore qui fut digne d'elle!

Des artistes comme Puvis de Chavanne et Jules Chéret ont prêté leurs talents à la République pour la décoration intérieure.

J'y ai d'ailleurs admiré le petit salon fort intime à la belle décoration frivole de Jules Chéret...

Nous avons visité également l'ancien bureau de Georges Clémenceau.

Au soir du 25 Août 1944, à la Libération de Paris, le Général de Gaulle y prononce son célèbre discours...

Le marbre à profusion, les tapisseries, les tableaux, les splendides parquets, les statues contribuent à faire de ce lieu un emblème exceptionnel, chargé d'Histoire, de la Ville Lumière.

Cette visite m'a passionné, et je vous la recommande vivement!

jeudi 23 décembre 2010

"A l'étranger", ou : une histoire des migrations, à Bâle

Il se trouve à Bâle un musée historique particulièrement riche et intéressant.
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Entre autre de par l'exposition qui s'y tient actuellement, et jusqu'au 27 Mars 2011, intitulée : In der Fremde ("A l'étranger").

Il s'agit du Historisches Museum Basel situé depuis 1894 dans la Barfüsserkirche (Eglise des cordeliers de l'Ordre des Franciscains, anciennement Franziskanerkirche).

Il s'agit là du plus important musée d'histoire culturelle du Rhin Supérieur.
C'est une institution indépendante gérée par le Canton de Bâle-Ville.

Les collections permanentes mettent en relief un certain nombre d'éléments fort intéressants sur l'histoire particulièrement riche de Bâle du Moyen Âge à nos jours : en particulier sont exposées un certain nombre d'oeuvres d'avant la Réforme.

Nous y avons admiré une danse macabre impressionnante et sa reproduction en petites figurines évocatrices, ainsi qu' un trésor d'une grande richesse : celui de la Cathédrale de Bâle, contenant des spécimens uniques d'orfèvrerie médiévale.

L'exposition temporaire, sur les migrations, donc, m'intéressait particulièrement dans la mesure où mes ancêtres ont émigré de Suisse (entre les cantons de Berne et de Lucerne) vers l'Alsace (le Haut-Rhin) vers la fin du XVII° siècle.

Les migrations ont bien entendu toujours eu lieu, en particulier immigration vers la Suisse et émigration de la Suisse.

L'exposition présente les différentes formes de migration et les raisons qui ont poussé les Bâlois à aller tenter leur chance à l'étranger, en particulier aux Etats Unis.

Le thème est tout à fait intéressant, les beaux objets présentés nombreux et méritant un examen attentif de par leur originalité.

Un reproche cependant : l'ensemble des vitrines laisse, à mon goût, une impression de confusion, de disparate, de sauts chronologiques peu compréhensibles, et d'explications qui, du simple point de vue muséographique laissent à désirer.

J'en ai retiré, au delà de cette faiblesse de l'exposition, une impression de mouvements intenses de populations, pour des raisons extrêmement diverses (économiques, politiques, guerres, chômage, persécutions, fuite de la terreur nazie,...) et une relativisation des mouvements migratoires actuels.
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Visite fort sympatique entre amis, là aussi complétée par une exploration du marché de Noël tout proche, me permettant désormais d'être à même de mener une étude comparative sérieuse des marchés de Noël de Colmar, de Freiburg et de Bâle... et bien entendu, de comparer Glühwein et Bratwurst.

En tout cas, tous ont un goût de "revenez-y"!

mardi 21 décembre 2010

Coup de coeur pour l'Augustinermuseum de Freiburg !

J'ai pu visiter avec grand plaisir il y a quelques jours avec des amis l' Augustinermuseum de Freiburg im Breisgau : un grand coup de coeur!

Ce musée a été entièrement restructuré (2004-2010) avec audace par l'architecte Christoph Mäckler (Frankfurt, Berlin), actuellement professeur à la "Technischen Universität Dortmund".

Le résultat est impressionnant et sa visite fut pour moi une expérience unique!


Le bâtiment offre des perspectives surprenantes : des galeries, des niches, des passerelles, des ouvertures sur la ville et le Münster de Freiburg, une charpente magnifique...

...et pour commencer, d'entrée de jeu, un espace central - l'ancienne église conventuelle - qui nous offre des figures originales en pierre provenant du Münster de Freiburg : des prophètes, des saints, plus grands que nature (3 à 4 mètres de haut, installées avant la repose du toit!), voisinant avec des allégories de péchés mortels en forme de gargouilles étonnantes : la Luxure, etc,...


Nous pouvons y admirer des oeuvres formidables du Moyen Âge (Mathias Grünewald, Lucas Chranach l'Ancien,...).

Puis dans le choeur de l'ancienne église, sont exposées des oeuvres baroques de toute beauté, que j'ai vraiment appréciées : tableaux, statuettes, sculptures, et, dominant l'ensemble du choeur, le buffet d'orgue de l'abbatiale de Gegenbach (1720). Cet orgue fonctionne, et des concerts y sont donnés régulièrement.

Les peintures du XIX° siècle dans les combles (Winterhalter, Feuerbach...), des scènes de genre et des peintures allégoriques, m'ont par contre plutôt laissé indifférent et je n'en ai pu que d'avantage admirer la magnifique charpente...

Au sous sol, une belle exposition intitulée "Freiburg baroque" et consacrée à Johann Christian Wentzinger (1710-1797), l'un des artistes majeurs d'Outre Rhin du XVIII° siècle, qui fut peintre, sculpteur, et architecte de renom.

"Il a vécu un siècle - en lui vivent des siècles", c'est à son ami Wentzinger que le jésuite Heinrich Sautier dédie cette formule, invoquant autant l'artiste que le généreux donateur.

En effet, Wentzinger fit de l'hôpital des pauvres de la ville le légataire universel de sa fortune considérable.

Les églises et les couvents comptent parmis les principaux commenditaires de Wentzinger : la collégiale bénédictine de St Gallen, l'abbaye de St Blaisen, dans le sud de la Forêt Noire,...

Sa maison, située à Freiburg sur la place du Münster, actuellement le "Museum für Stadtgeschichte" vaut également une visite.
Une très belle journée, agrémentée par la visite des marchés de Noël de Freiburg et, bien entendu, la dégustation du Glühwein traditionnel!

lundi 13 décembre 2010

Don Carlos de Verdi au Met : somptueux!

Ce samedi 11 Décembre, le Met de New York nous a offert, en live à Kinépolis/Mulhouse, un Don Carlos somptueux, en 4h 30 de grand bonheur.

C'est pour moi l'oeuvre majeure de Verdi, que j'ai vue plusieurs fois déjà, et dont je ne me lasse pas : profonde, ambitieuse, la quintessence de l'Opéra.

Cet oeuvre magnifique traite de grandes passions alliées à de puissants intérêts politiques et exprime magnifiquement le cheminement implacable d'un destin tragique.
Le spectateur est entraîné dans une intrigue et des situations spectaculaires qui donnent lieu à une mise en scène fastueuse.

Cet Opéra en 5 actes a été créé en français à l'Opéra de Paris le 11 Mars 1867.
Il nous a été présenté samedi soir dans sa version en italien.

Après avoir hésité entre différents livrets, Verdi s'enthousiasma pour un scénario tiré du drame de Friedrich Schiller, Don Carlos.

Roberto Alagna interprète l'infant d'Espagne Don Carlos avec la puissance et la présence qu'on lui connait, même si par moments son visage m'a semblé manquer un peu d'expression. Alagna chante magistralement un infant qui vacille entre la dépression et la lutte politique au service des Flandres.


Il donne la réplique à Marina Poplavskaia qui nous offre une Elisabeth de Valois toute en force et en finesse, touchante et digne dans sa retenue, bouleversante de ce drame intérieur contenu par la force des choses et des conventions.

Ils sont tous les deux tragiquement contraints de renoncer à leur amour.
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Ferrucio Furlanetto (basse) en Philippe II lorsqu'il s'ouvre au Marquis de Posa, puis dans son long monologue vers la fin de l'oeuvre, campe à merveille un roi d'Espagne écrasé par les doutes, les remords, et le désespoir, après avoir épousé la fiancée de l'infant.

Simon Keenlyside, en Rodrigo, Marquis de Posa, l'ami de toujours de Don Carlos, quant à lui m'a absolument transporté, par son jeu scénique, sa présence d'acteur, et sa voix de baryton chaude et expressive. Il campe un idéaliste qui accepte de se sacrifier à la raison d'Etat.

Je l'avais déjà fort apprécié dans Hamlet d' Ambroise Thomas, retransmis également du Met (Voir ma note du 27 mars 2010)

On ne peut pas ne pas mentionner Eric Halfvarson en Grand Inquisiteur terrifiant, Grand Manipulateur devant l'Eternel.

Quelle fascinante polyphonie de destins!

Verdi ne cessa de réviser cette oeuvre afin de parvenir à sonder les âmes toujours plus profondément...

Vraiment, une soirée mémorable!

Ecoutez ici  un duo Alagna/Poplavskaya également au Met, en novembre 2010 :

samedi 4 décembre 2010

Connaissez vous le photographe Heinrich Kühn ?

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Moi, je ne connaissais pas jusqu'à ce qu'une visite récente au Musée de l'Orangerie, à Paris, me remplisse de bonheur.

Personnellement intéressé par la photographie, comme mes notes récentes ont pu le montrer, j'étais particulièrement admiratif devant le travail des "pictorialistes", au tournant des années 1900.

Les travaux de Robert Demachy, Alfred Stieglitz et Edward Steichen me touchent tout particulièrement.

J'ai d'ailleurs et à nouveau pu admirer certaines de leurs oeuvres dans les magnifiques musées américains lors de mon séjour aux USA en mai-juin de cette année, en particulier à Phoenix, Kansas City et Chicago.
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Alors, quid de Heinrich Kühn (1866-1944) ?

Entre 1895 et 1915 son oeuvre fut admirée par les photographes que je viens de citer et montrée dans d'innombrables expositions.

Mais il fallut un certain temps pour que la modernité de son oeuvre fut enfin reconnue.

Kühn en effet faisait disparaître contours et détails, s'efforçant de faire ressortir dans ses oeuvres un certain aspect "glissant et mouvant" par un art évocateur d'atmosphères, atteignant ainsi les limites du figuratif et du narratif.

Avec Stieglitz et ses autres amis, il fit de la photographie stylisée un élément de l'"oeuvre d'art totale" à laquelle aspiraient les artistes de la Sécession ; ce fut le mouvement "Photo-Sécession".


Ses tirages utilisaient des techniques qui redeviennent actuellement en vogue dans des cercles restreints de photographes : par exemple tirages à la gomme bichromatée, qui, avec le choix des papiers et des pigments évoquent plutôt la gravure que la photographie traditionnelle.
Il pratiqua également l'héliogravure, la platinotypie, les reports bromoil, les tirages autochromes, ...

Le perfectionnement technique du medium devint vite l'unique but de sa vie.


Et d'ailleurs sa formation scientifique (sciences naturelles) le disposait aux développements expérimentaux et aux recherches , en particulier à des études sur les gradations, qui lui permirent d'aboutir à des chef d'oeuvre fascinants.

Ses images légèrement floues, tirées sur papiers rugueux, avec le format moyen des peintures à l'huile de l'époque lui valurent de nombreux adversaires, qui les considéraient comme "non photographiques".

Son travail, exposé à l'Orangerie jusqu'au 24 Janvier est, à mon goût, une pure merveille!

Ses techniques de tirage et ses recherches de nouveaux moyens d'impression au service d'une émotion artistique prend véritablement le visiteur aux tripes.

La technique s'efface alors au service du regard et de la vision; photographe et visiteur sont réunis dans des moments de grace uniques.

"L'appareil mécanique n'a pas d'autre importance pour le photographe que par exemple le pinceau pour le peintre."
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" Par photographie, on entend une représentation figurative, exprimée par une succession sans solution de continuité de gradations, provoquée ou transportée par des effets de lumière."
Heinrich Kühn.

Voir Mon site Photos

jeudi 2 décembre 2010

Charretiers et cantonniers, en hiver, du côté du Col de Tende

La vie n'était pas facile, en hiver, au début du XX° siècle (et avant !) sur la route du sel, pour qui voulait franchir le Col de Tende, sur la frontière italienne.


Le trafic des mules et des charrettes ne s'arrêtait pas, même par temps de neige et de glace : l'économie de toute la région en dépendait, du Piémont italien à Nice
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Lorsque nous nous demandons, par ces temps de froidure et d'enneigement, si le Col de Tende sera dégagé, si le chasse-neige est passé, si il va falloir "chaîner" pour le franchir, pour circuler entre Tende et Cuneo, nous oublions la vie âpre, austère, dure que charretiers et cantonniers menaient pour assurer "la libre circulation des marchandises et des gens".
C'était aussi par ailleurs une vie d'amitié et d'entr'aide...

"Les cantonniers n'étaient pas nombreux ; depuis l'ancienne gare frontière, à Paganin, il y en avait un là-bas, un à Saint-Dalmas, de Saint-Dalmas à Tende un autre et de Viévola au Col de Tende, il y en avait un autre. L'hiver il y en avait en supplément.

Au pont de Caramagne, il y a une petite maison cantonnière, là c'était la maison des cantonniers de l'hiver.
Trois ou quatre y passaient l'hiver quand il neigeait.

On déblayait la route avec le chasse-neige avec des chevaux, avec des mulets, ça n'était pas facile.

Ah! Mais des fois on montait le chasse neige à un mètre de largeur et puis on arrivait jusqu'au tunnel, et en descendant on le mettait à trois mètres, deux mètres selon la neige qu'il y avait. On arrivait tout le temps à déblayer.
Bien ou mal, ou plus large ou plus étroit!


Tourmente ou pas tourmente, on partait...

Et selon les centimètres de neige qu'il y avait, on mettait la force des chevaux.
En principe, c'était toujours dix ou douze chevaux tous en couple et un bonhomme devant pour faire le tracé..."
(Mr François Riberi, de Tende)
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"Les charretiers de Tende me racontaient qu'en hiver, au Col de Tende, quand elles respiraient, les bêtes avaient des glaçons comme ça!


C'étaient les mulets qui tenaient.

Il fallait tous les jours et la poste et le ravitaillement : il fallait grimper le col de Tende quand il n'y avait pas le tunnel...

...En hiver, quand la route était verglassée, les cantonniers mettaient de la terre. Nous, nous avions des clous exprès pour la glace.
On avait toujours le nécessaire.

A chaque pied de la bête, on enlevait deux clous qui étaient usés et on mettait des clous neufs avec une tête pointue.
Alors là, ils se cramponnaient.
C'était des clous spéciaux pour la glace.

Et souvent il nous arrivait en route qu'une bête se déferrait. Alors on était obligé de faire le maréchal ferrand. On avait toujours des clous, les tenailles, le marteau... "
(Mr Victor Gastaud, de Breil sur Roya)

Cf mes 2 notes sur la route du sel et le Col de Tende :

Sur la Route du Sel, au Col de Tende, 11/08/2010 :
La route, les charretiers, la vie à Tende, autrefois, 5/04/2010 :

lundi 29 novembre 2010

Walker Evans, l'ordinaire et le quotidien

Walker Evans est un photographe américain né en 1903 à St-Louis, Missouri et mort en 1975 à New Haven, Connecticut.

J'ai pu avoir un éclairage saisissant sur son oeuvre lors de la très belle exposition "Anonymes, L'Amérique sans nom" à la nouvelle salle "Le BAL" à Paris XVIII°, expo dont j'ai déja parlé ici même il y a peu de temps.

Les approches formelles de Walker Evans continuent à avoir une influence profonde sur notre perception de l'art et de l'anonymat aux Etats Unis.

Walker Evans, vers la fin des années vingt s'affranchit de l'imitation de la peinture ancienne pour se tourner vers l'expérimentation photographique autour de l'ordinaire et du quotidien : il s'est consacré à l'observation des américains anonymes dans leur cadre de vie.

Il a tout d'abord publié des ensembles de photos dans de modestes journaux, puis dans le magazine Fortune.

Il doit aussi sa notoriété à ses reportages sur la situation désespérée des paysans du Sud des USA, au moment de la Grande Dépression, qu'il effectua sur commande de la "Resettlement Administration" du gouvernement.

Son célèbre ouvrage "American Photographs", publié à New York en 1938 est sans doute la tentative la plus sophistiquée pour exprimer les rapports entre vie moderne, anonymat et photographie.


Evans est célèbre pour la puissance de ses images isolées et par les rapports suggérés entre elles, en particulier pour ses portraits pris dans le métro de New York.

Il continua jusques vers 1965 à photographier des "anonymes" au travail, à Detroit, à Chicago.

Son travail absolument remarquable intitulé "People and Places in trouble" (Fortune 1961) établit un rapport frappant entre l'immobilité muette de la photographie et les effets destructeurs du chômage sur l'esprit et le corps.

Des citoyens "laissés pour compte" s'y expriment avec dans les yeux une intensité qui ne peut nous laisser indifférents.



On perçoit dans ces regards saisis par Evans toutes les nuances de la colère, de l'humiliation et de la peur : l'absolu désespoir personnel!

Voir Mon site Photos.

mardi 23 novembre 2010

Caterpillar de Hawa Demba Diallo

Il faut féliciter Hawa Demba Diallo pour ce texte et ce spectacle, simples en apparence, qui livrent aux spectateurs, sans concessions, les tabous de la société malienne.

Caterpillar nous parle de viols, d'exclusion, de précarité urbaine et des drames humains au quotidien.
La langue que Hawa Diallo met en oeuvre est populaire, débridée, chantante ; c'est celle de la rue, celle qui exprime la violence faite aux laissés pour comptes dans le Mali d'aujourd'hui.
Sa langue est triturée, déformée : c'est un cri, un rire sec, celui du "petit nègre" et de l'argot des gens d'"en bas".

Ce spectacle, vu lundi 22 novembre à la Comédie de l'Est, à Colmar, en Alsace, nous parle de Séba (Alimata Baldé), la "petite bonne" chassée parce qu'elle est enceinte, de la famille bamakoise aisée où elle a été placée.
Craignant la réprobation générale, si elle retourne au village, elle s'installe dans la précarité dans un dépôt d'ordures à la périphérie de Bamako.

Son destin croise celui d' Aliou (Korotoumo Sidibé), expulsé de France, conducteur d'engins, chargé de nettoyer avec son Caterpillar le terrain vague où s'est réfugiée Séba.
Ce laissé pour compte a un coeur gros comme ça.

Il y a aussi Bijou (Tiéblé Traoré), une enfant de la rue, qui vient chercher là chaleur et réconfort.

Ces trois là vont tenter de recréer une famille improbable, baignée de rude tendresse et de rêves impossibles.
Cette histoire tragique est rythmée par une musique allègre et des moments comiques salutaires.

Les trois acteurs donnent à leurs personnages une authenticité et une vérité poignantes, sans démonstration inutile.

Bref, j'ai aimé cette pièce, qui m'a touché, compte tenu aussi du fait que j'étais au Mali en Janvier et que j'y retourne début 2011!

Hawa Demba Diallo porte un regard acerbe sur la société malienne, sans pour autant tomber dans le misérabilisme.
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Née dans la région de Kayes en 1970, elle a déjà à son actif un nombre impressionnant de publications (poésie, nouvelles, essais, romans, théatre) éditées au Mali (Ed Jamana, Traoré du Mali, Acte Sept,...)

La mise en scène de ce spectacle est de Claude Yersin.

lundi 15 novembre 2010

Don Pasquale de Donizetti au Met!

Magnifique soirée, au Kinepolis de Mulhouse, que celle de la retransmission en live depuis le Met à New York de Don Pasquale de Donizetti (1797-1848), l'un des ouvrages les plus étourdissants de l'âge romantique!


Cet "Opéra Bouffe" (opera buffa) en 3 actes fut joué pour la première fois le 3 Janvier 1843 au Théatre Italien de Paris, quelques mois avant le début de l'effondrement mental de Donizetti... Triomphe lors de la représentation, mais la critique fut réservée.


Don Pasquale est une des oeuvres phares de Donizetti, un chef d'oeuvre, qui n'a jamais quitté le répertoire.


C'est un opéra comique qui se distingue par sa nature légère et fort divertissante.

A Rome, au début du XIX° siècle, ruses et tromperies sont à l'honneur pour faire entendre raison au riche Don Pasquale, qui veut prendre femme pour deshériter son neveu.


Nous sommes dans la grande tradition des barbons bernés de la commedia dell'arte.


Don Pasquale figure ainsi Pantalone, Ernesto, le Pierrot amoureux, Malatesta le rusé Scapin, tandis que Norina est Colombine.


L'obsession quasi balsacienne de l'argent confère au personnage de Don Pasquale une profondeur et une pertinence sociale qui manquent dans les operas bouffe de Rossini (ex le Dr Bartolo dans le Barbier de Séville).

De même, le rôle de Norina est intéressant : elle nous est présentée par Donizetti comme une femme adulte et indépendante, qui entend mener sa propre vie comme elle l'entend. Le moment où on sent poindre en elle de la compassion pour le vieillard qu'elle s'acharne à berner, et même de l'affection, est particulièrement émouvant.

Nous sommes là à l'apogée du "bel canto" : c'est le "beau chant" qui prime! L'orchestre ne joue qu'un rôle d'accompagnateur efficace mais pas trop présent cependant, ce que James Levine a su opérer à la perfection!


La distribution est formidable : John del Carlo (Baryton-basse) dans le rôle de Don Pasquale, la merveilleuse, enjouée, pétulante Anna Netrebko (soprano) en Norina, Matthew Polenzani (ténor) en Ernesto et Mariusz Kwiecien (baryton) dans le rôle du Dr Malatesta.


La magnifique Anna Netrebko est une soprano coloratur autrichienne d'origine russe, qui a étudié le chant au Conservatoire de Saint Petersburg, et qui, pour gagner sa vie, travailla comme femme de ménage au Théatre Mariinski.


En 1994 elle débuta dans le rôle de Susanna, des Noces de Figaro. Depuis, sa carrière internationale est impressionnante.


Artiste aux multiples facettes, sa voix d'une grande ampleur, son timbre riche, son côté "glamour" et ses talents de comédienne lui permettent d'interpréter toutes sortes de rôles, même les plus difficiles.


Un petit aperçu de son talent dans Don Pasquale au Met, justement :